ACE Énergie a rencontré Jean-François Claver, fort de son expérience en tant que Chief Industrial Officer chez Imerys, et l’a interrogé sur la mise en place d’un programme d’excellence énergétique sur un vaste périmètre couvrant environ soixante-dix sites à travers plus de vingt pays.
Le programme d’excellence énergétique déployé par Imerys vise à améliorer l’efficacité énergétique des sites pour réduire les coûts d’énergie et bien sûr réduire les émissions de CO2. La méthodologie consiste à déployer une équipe d’experts internes, afin de coconstruire, avec les équipes de chaque site, une feuille de route stratégique sur 3 ans visant à réduire de 10 à 15% la consommation d’énergie. Cette feuille de route est adossée à des études de cas, documentant les moyens à déployer pour réaliser les économies d’énergies cible.
Les grandes lignes du programme d’excellence énergétique déployées sont :
- Une approche terrain. Pour chaque site sélectionné dans le programme, les équipes d’expert mobilisés se sont rendues physiquement sur place 1 à 2 semaines.
- Une standardisation de la méthodologie (outils, procédures, livrables…) suffisamment ajustable pour traiter tout type d’usine (malgré des procédés industriels très variés à l’échelle du groupe ou même au sein des BU), mais dans un cadre globalement homogène pour faciliter le partage d’un site à l’autre.
- Une infrastructure managériale dédiée au programme : des équipes dédiées, des organes de gouvernance, un outil central de suivi des actions, l’intégration des initiatives dans le process de demande de CAPEX…
1. Philosophie et objectif du projet
Imerys a été précurseur dans la mise en œuvre de ce programme d’efficacité énergétique. Quels sont les arguments principaux qui vous ont permis de convaincre les équipes dirigeantes de la nécessité de mettre en place ce programme ?
- En 2016/2017, le programme a été initié principalement pour réduire les coûts énergétiques, qui représentent une part importante des coûts variables. Le contexte de l’époque ne mettait pas encore l’accent sur les enjeux de CO2, mais plutôt sur l’optimisation des coûts. Le programme d’amélioration continue d’Imerys, lancé en 2014, avait rapidement identifié l’énergie comme une priorité, une priorité par toujours maitrisée. L’argument principal était donc économique : réduire les coûts variables pour améliorer la compétitivité. Le programme a pris de plus en plus d’ampleur, ensuite, alors que les enjeux climat s’invitaient de plus en plus au centre des discussions. Aujourd’hui ce programme est un des 6 axes du plan de transition climatique communiqué en mai dernier par le Groupe Imerys.
Quel rôle de leadership avez-vous joué dans la réussite de cette initiative, et comment ce rôle a-t-il évolué au fil du projet ?
- Au début, mon rôle consistait principalement à structurer l’approche, à acquérir et adapter une méthodologie et à recruter une équipe compétente. La partie cruciale était de convaincre les premiers sites et les BU de l’intérêt du programme, cela a été réalisé en démontrant des résultats concrets. Une fois le programme lancé et les premiers succès obtenus, mon rôle a évolué vers un maintien du rythme, en veillant surtout à la stabilité / au renouvellement maitrisé des équipes et à la continuité des efforts. J’ai également travaillé sur l’intégration de nouvelles préoccupations, comme la réduction des émissions de CO2, à travers la mise en place d’un prix interne du carbone, à une priorisation plus forte des actions impactant les émissions de CO2 ou encore sur l’adaptation de la méthodologie aux différents contextes industriels du groupe.
2. Architecture du projet
Comment les équipes ont-elles été structurées ? Comment assurer l’uniformité de la méthode entre les différents sites ?
- Les équipes ont été structurées de manière hybride, combinant des ressources mise à disposition par le groupe et d’autres apportées par les Business Units (BU). Le groupe portant la responsabilité de mettre à disposition des chefs d’équipes, eux-mêmes garants d’une méthodologie uniforme. Les BUs, elles, apportent des ingénieurs pour porter le programme, s’assurant ainsi de mettre à disposition de chaque site, des « sachants » maîtrisant les spécificités propres aux process sur place. Cette approche a permis de garantir une méthodologie standardisée, tout en ajustant les expertises en fonction des particularités de chaque site, assurant ainsi une mise en œuvre à la fois homogène dans la structure mais sur-mesure dans les recommandations.
Comment les retours d’expérience des premiers sites visités ont-ils été intégrés afin d’améliorer le programme au fur et à mesure de son déploiement ?
- Pour intégrer les retours d’expérience des premiers sites visités, le programme a suivi un processus itératif. Les expériences des premiers diagnostics ont permis d’améliorer la méthodologie. Par exemple, initialement, les diagnostics étaient réalisés en une semaine, laissant les sites avec une liste d’idées. Il s’est avéré que ce délai ne permettait pas d’aller assez loin dans la sélection des actions et dans leur appropriation par les équipes du site. La méthodologie a donc été ajustée. Une deuxième semaine a été ajoutée, dédiée à la priorisation des idées, au transfert des connaissances de l’équipe d’experts vers l’équipe du site, et à la planification dans le temps. Cette deuxième semaine a réellement permis de s’assurer que les équipes locales savaient dans quelle direction avancer une fois les experts partis, et que les ressources (contraintes, comme souvent) étaient mobilisées sur les meilleurs projets, avec une charge étalée dans le temps.
3. Ampleur du projet
Comment avez-vous adapté l’approche du programme pour prendre en compte les spécificités de chaque Business Unit ?
- C’est vraiment l’équipe d’experts mise à disposition par chaque BU qui a permis d’adapter les recommandations faites, selon les types de procédés industriels rencontrés. Mobiliser une équipe ayant une bonne compréhension des procédés spécifiques de chaque site a permis de faciliter les discussions avec les équipes locales. Cela a contribué à désamorcer une des embûches du programme, à savoir la grande diversité des procédés qui sont utilisés sur les sites Imerys. Mieux, cette diversité a permis d’élargir l’horizon de compétence des experts mobilisés, au fur et à mesure de leurs déplacements de site en site. Au fil du programme, les recommandations sont devenues de plus en plus pertinentes, car inspiré par une connaissance plus large des différentes options techniques face à tel ou tel enjeu.
Quelles synergies ont été créées entre les différentes Business Units, et comment ont-elles contribué à renforcer l’efficacité du programme ?
- Elles ont été créées principalement à travers une communication active et le partage des meilleures pratiques. L’organisation de webinaires réguliers et la publication régulière de contenus sur l’intranet ont contribué à maintenir l’engagement de la communauté. Les échanges au sein de la même Business Unit ont également été facilités, permettant de benchmarker et de partager des solutions entre sites ayant des typologies similaires. Ces synergies ont renforcé l’efficacité du programme en permettant une diffusion rapide des idées et des solutions éprouvées, tout en maintenant un engagement fort des équipes locales, qui avaient l’occasion à la fois de diffuser leurs bonnes pratiques et de profiter des enseignements des autres.
4. Atteinte des résultats
Les objectifs ont-ils été atteints en termes de nombre de sites visités, de résultats individuels pour chaque diagnostic, et d’économies d’énergie réalisées à l’échelle du groupe ?
- Le programme a couvert un nombre significatif de sites, avec une concentration sur les sites les plus énergivores. Chaque site a identifié des économies d’énergie substantielles, avec des réductions de consommation d’énergie de l’ordre de 10 à 12 % par site, uniquement sur des projets sans CAPEX ou avec un temps de retour inférieur à 3 ans. Les économies d’énergie cumulées à l’échelle du groupe ont été importantes, contribuant également à la réduction des émissions de CO2.
Quelles leçons essentielles avez-vous tirées de ce programme, qui pourraient s’avérer bénéfiques pour d’autres entreprises souhaitant mettre en œuvre des stratégies de performance énergétique similaires ?
- Tout d’abord, la méthodologie doit être à la fois standardisée et capable de rentrer dans le cœur des procédés. Agnostique mais pertinente… C’est vraiment la force de l’approche qui a été mise en place. La stabilité des équipes est également un facteur clé de succès : assurer une continuité dans l’équipe mobilisée a permis d’augmenter l’impact, l’expertise, la pertinence des solutions présentées. Dernier point, l’introduction d’un prix interne du carbone a permis d’encourager les investissements dans des projets de réduction des émissions de CO2 et de donner un cadre pour flécher les CAPEX dans la bonne direction.
- Les principaux écueils à éviter concernent essentiellement le temps passé sur site et l’instabilité des ressources. Initialement, les diagnostics étaient réalisés en une semaine, ce qui ne permettait d’assurer l’appropriation par les équipes locales, du travail fait par les équipes d’experts. Toujours dans cette notion de temps, il a été critique d’assurer une stabilité dans les experts mobilisés. Les ingénieurs procédés qui sont mis à contribution ont besoin de temps pour se faire à la méthode, aux outils, à la philosophie de l’exercice. Il est nécessaire de sécuriser leur implication sur un temps suffisamment long pour qu’ils puissent absorber ce temps de montée en compétence. En effet pour être efficace, la méthodologie et sa boîte à outils sont très avancées. La difficulté à recruter des profils spécialisés en énergie a également été un obstacle.
Ces leçons peuvent aider d’autres entreprises à structurer et à mettre en œuvre des programmes de performance énergétique efficaces et durables, tandis que l’identification des écueils souligne l’importance d’une planification rigoureuse, d’une bonne gestion des ressources humaines et d’un engagement soutenu des équipes locales pour le succès des programmes de performance énergétique.