FOCUS EXPERTISE – Le marché des quotas carbone

Focus expertise – Le marché des quotas carbone 

L’équipe de communication a échangé avec Louis-Arnaud Péchenart, consultant senior en excellence énergétique et certifié (Qualiopi®) pour la déclaration des niveaux d’activité et des émissions de gaz à effet de serre (GES). Notre échange a porté sur le fonctionnement du marché, les enjeux à court, moyen et long terme et sur les enjeux à venir liés à ce marché.

Peux-tu nous rappeler ce qu’est le marché des quotas de carbone ?

Bien sûr, le marché des quotas carbone, appelé Système d’Échange de Quotas d’Émission (SEQE) a été mis en place en 2005 à l’échelle de l’Union européenne. Il a pour but de faire baisser les émissions de GES de l’Union sur le principe du pollueur-payeur, en faisant payer aux industriels et au producteurs d’électricité leurs émissions de GES.

L’Union européenne a choisi un mécanisme de marché pour fixer le prix des quotas carbone qui sont vendus par les gouvernements et échangés entre les industriels. Le volume de quotas délivrés chaque année est limité et diminue chaque année ; c’est ce que l’on appelle le Cap (plafond en anglais).

Pour ma part, je trouve que le fonctionnement « marché » présente des défauts structurels, en particulier, le Cap, c’est-à-dire le volume de quotas délivrés annuellement, a été longtemps trop élevé pour avoir un prix qui inciterait les industriels à se décarboner. Il reste néanmoins important de noter que les émissions à l’échelle de l’Union européenne ont baissé, conformément aux objectifs du dispositif. On peut expliquer cela par la décarbonation partielle de la production d’électricité (plus facile que celle des procédés industriels) et la baisse de la production industrielle en Europe.

Par ailleurs, le prix du carbone européen est actuellement parmi les plus élevés au monde, si ce n’est le plus élevé (70 €/tCO2 le 02/07/2024).

Pourquoi y a-t-il des allocations gratuites dans le cadre du SEQE ?

La Commission européenne a décidé d’accorder des quotas gratuits pour protéger la production industrielle intra-UE. Cette décision est souvent considérée comme un facteur de ralentissement de la décarbonisation industrielle. Mais d’un point de vue économique, un système avec ou sans quotas gratuits devrait être aussi efficace, car les acteurs économiques ont le même intérêt économique à réduire leurs émissions, grâce à la possibilité de vendre leur excédent de quotas.

Les allocations gratuites ne sont pas un problème en soi ; le principal problème du dispositif au cours de la phase III (2013-2020) était un excédent global du nombre total de quotas en circulation (TNAC) à la suite de la baisse d’activité industrielle à cause de la crise de 2008 notamment. Cet excédent était structurel et a permis de maintenir un prix bas sur le marché.

Quel sont les enjeux actuels pour un industriel soumis au SEQE ?

Plusieurs mesures relatives au SEQE ont été arrêtées dans le cadre du « paquet Fit for 55 », et leur mise en application se déploie progressivement. Dans les grandes lignes, ces nouveautés visent à accélérer la décarbonation des industries concernées par le marché du carbone :

  • Une baisse accélérée du Cap qui va générer une forte pression sur le marché.
  • Un renforcement du mécanisme de réserve de quotas (MSR).
  • L’obligation pour un industriel de respecter les recommandations de son audit énergétique.
  • La pénalisation des industriels les plus polluants de leur « benchmark ».
  • La mise en place du SEQE pour le secteur maritime et le renforcement du SEQE pour l’aviation.
  • L’introduction d’un SEQE II, qui vise à étendre le marché du carbone au transport, au bâtiment et aux petits industriels.
  • La mise en place progressive du marché du carbone aux frontières (MACF), qui permettra d’abolir les allocations gratuites.

Quelle est la tendance à venir sur les prix du CO2 ?

C’est une question à laquelle il est difficile de répondre ; je ne me risquerais pas à vous donner un chiffre qui s’avérera probablement faux. On peut tout de même essayer de comprendre les grandes tendances à venir. Pour répondre à cette question, il faut comprendre la situation actuelle qui est à l’origine d’un prix de marché autour de 60 à 65 €/tCO2 (juillet 2024).

Tout d’abord, les prix ont tendance à augmenter depuis 2019 et la publication des contours de la Phase IV. Les prix en 2023 sont montés autour de 90 à 100 €/t, notamment à cause de la situation tendue sur le réseau électrique, avec la faible disponibilité des centrales nucléaires, les prix élevés du gaz et la forte production par des centrales à charbon, fortement émettrices de CO2.

Depuis, la situation relative à la production d’électricité est revenue à la normale. L’économie allemande est toujours au ralenti et la consommation de gaz industriel a baissé de plus de 10 % par rapport à l’avant-crise de l’énergie. De plus, les opérateurs qui agissent sur le marché disposent de stocks de quotas importants. Le prix de l’ETS s’est donc stabilisé autour de 60 à 65 €/tCO2 dans un contexte général d’offre élevée et de faible demande.

En ce qui concerne les tendances à moyen terme, cela dépend d’une éventuelle reprise de l’activité industrielle allemande. Il est également important de noter que l’introduction du secteur maritime dans le mécanisme s’accompagne de la mise aux enchères d’un surplus important de quotas pour l’année 2024. L’Union européenne va aussi mettre aux enchères un surplus de quotas dans le cadre de REPowerEU (initiative de la Commission européenne lancée en mai 2022 pour faire face à la crise énergétique), et le mécanisme de stabilité du marché va retirer moins de quotas en circulation que l’année précédente. On devrait donc avoir un prix stable en 2024 et 2025.

Pour le long terme, la mise en place du MACF et la réduction de la part des quotas gratuits distribués devraient contribuer à augmenter le prix du marché SEQE. Le surplus de quotas introduit pour le secteur maritime va être compensé par une offre nettement inférieure à la demande en 2026 de manière exacerbée, et ce déficit devrait se maintenir pour les années suivantes. Le Cap va diminuer de façon significative afin de créer de la rareté sur le marché. Pour rappel, l’objectif est une baisse des émissions des secteurs couverts par le SEQE en 2030 de l’ordre de 62 % par rapport à 2005 (contre 43 % avant l’introduction du paquet fit for 55). Les observateurs s’attendent à une hausse progressive jusqu’à 150 €/tCO2 en 2030.

Qu’est ce qui peut être mis en place par les industriels pour anticiper les enjeux liés à ce marché ?

La première étape est de dresser un panorama de la situation à venir afin de savoir où l’on met les pieds. Une des solutions est de réaliser des trajectoires de quotas de carbone par site industriel, en fonction de différents facteurs : les nouveautés de la réglementation, les trajectoires de production à venir et les projets de décarbonation futurs.

Il est ensuite nécessaire de mettre en place une stratégie de couverture pour se protéger sur le marché et avoir de la visibilité sur les coûts futurs du carbone, de façon analogue à ce qui est fréquemment fait par les industriels sur les marchés de l’énergie. Sachant que les acheteurs ont moins de risque de volume, les quotas étant fongibles.

On peut aussi citer des enjeux très concrets liés aux nouveautés récentes de la réglementation : la mise en conformité avec son plan d’action ou son rapport d’audit, la mise en place d’un plan d’action pour la neutralité climatique.

Enfin, l’étape suivante est la mise en place d’une stratégie de décarbonation à l’échelle de son groupe industriel. Cela passe à la fois par des solutions financières, avec la mise en place d’un prix interne du CO2, de contrats d’achats de biogaz en direct (Biogaz Purchase Agreement, BPA), et par des solutions techniques : la mise en œuvre de solutions incrémentales (efficacité énergétique, sobriété, amélioration continue) et de solutions de rupture (biomasse, capture et stockage du carbone, électrification, etc.).

Il ne faut pas non plus perdre de vue que le marché du carbone va concerner la quasi-totalité des entreprises avec l’entrée en vigueur du SEQE II et du MACF. Il est alors crucial d’anticiper les enjeux associés aux éventuelles déclarations et au surcoût généré par le coût du CO2.

ACE Énergie peut vous accompagner tout au long de votre réflexion sur la maîtrise des coûts du carbone, y compris dans la conception de programmes de décarbonation qui peuvent en découler. Contactez-nous pour discuter de la manière dont ACE Énergie peut contribuer à la réussite de votre démarche de réduction des émissions de GES.

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