Interview – Négocier et structurer un Biogas Purchase Agreement (BPA)

ACE Energie a rencontré Jérémy Assayag, en charge des achats d’énergie et des achats stratégiques chez Arkema, ayant piloté la signature d’un Biogas Purchase Agreement.

1.   Architecture du projet

On a vu se multiplier au cours des trois dernières années les PPA, Power Purchase Agreement, en France et en Europe. A votre connaissance Arkema est-elle la première entreprise, en France ou en Europe à en faire de même pour du gaz ? Ce rôle de pionnier a-t-il été une difficulté ou un avantage dans ce projet ?

Arkema a signé le premier contrat de ce type, c’est-à-dire un contrat long terme d’achat de biométhane, avec des volumes significatifs. C’est un BPA de 10 ans avec 300 GWh par an. A notre connaissance, nous sommes les premiers en Europe à avoir signé un contrat de ce type et le fait d’être le premier est clairement une opportunité pour nous. Si aujourd’hui je devais refaire le même contrat, je ne pourrai pas le faire dans les mêmes conditions.

 

Est-ce que vous pourriez-nous expliquer davantage en quoi cela a été une opportunité pour vous ?

C’est une opportunité dans un environnement où la règlementation était extrêmement floue. Simultanément, nous sommes dans une situation de crise énergétique qui nous a amenée à revoir nos réflexions et notre connaissance du sujet. Il y a deux ans, je n’aurais jamais pu signer un contrat BPA parce que le prix était trop élevé. Aujourd’hui notre BPA nous procure non seulement de la stabilité sur le prix puisqu’il s’agit d’un contrat à prix fixe, mais également de la décarbonation. La crise énergétique a donc été une excellente opportunité pour pouvoir faire passer ce que nous ne pouvions pas faire passer il y a quelques années auprès de la direction.

 

Quel était le dispositif mis en place pour mener à bien ce projet ? (Ressources et délais) Comment cela pourrait-il se transposer pour d’autres acteurs ?

Le plus important a été de convaincre en interne, de faire comprendre le changement d’environnement dans lequel nous évoluons mais les ressources mises en place pour la négociation de ce contrat n’ont pas été énormes. A partir du moment où nous avons eu une vision claire et partagée avec le fournisseur, que nous avions une idée des économies associées, le contrat est assez simple. En revanche, nous avons passé beaucoup de temps sur tous les « à côté », c’est-à-dire tous les éléments en dehors des prix et des volumes : comment s’assurer que le biométhane que nous achetons est durable, bien produit etc. ? Cela a représenté une proportion importante de nos discussions avec Engie.

 

Votre communiqué de presse du 19 janvier mentionne que la production de biométhane n’entre pas en conflit avec la production de denrées alimentaires. Comment sécurisez-vous le fait qu’il s’agisse bien de biomasse renouvelable et de déchets agricoles ? Il y a-t-il des labels ou des organismes de contrôles qui vous permettent de vous en assurer ?

C’est le point clé de notre contrat. D’abord c’est un contrat de biométhane français, en France 95 % du biométhane est produit de manière durable. Cela signifie que la production de ce gaz n’est pas en concurrence avec l’alimentaire, qu’il n’y a pas de culture dédiée pour du biométhane, qu’il n’y a pas de boîtes de conserves périmées dans nos biométhaniseurs. C’est un premier point : nous sommes sur un terrain favorable en France. Ensuite, nous nous sommes assurés avec Engie que les agriculteurs et les promoteurs de projets biométhanes dans lesquels nous sommes parties prenantes avaient la capacité de produire ce biométhane dans les règles de l’art, c’est-à-dire en consommant le moins d’électricité, en ayant le moins de fuites possibles, en assurant le traitement des digestats, des fluides, etc. Il y a énormément de sujets RSE autour du biométhane. Le biométhane a l’air très sympa de prime abord, mais il faut s’assurer que la production est bonne. Nous avons donc passé beaucoup de temps à comprendre comment produire du biométhane. Ce n’est pas simple pour nous, nous ne sommes pas des acteurs de la filière, donc nous nous sommes renseignés et ensuite, nous avons retranscrit cela dans un contrat, avec un engagement mutuel d’Engie et d’Arkema de continuer à développer la filière. Aujourd’hui, il n’y a pas de certification qui existe de manière nationale donc nous essayons de créer notre propre charte. Le jour où une certification sortira de terre et qu’elle sera en adéquation avec nos valeurs, bien évidemment nous y souscrirons.

 

Quel argument majeur vous a poussé vers la signature d’un BPA ? Était-ce avant tout guidé par un objectif de stabilité des prix ? Ou par un objectif de décarbonation ? Ou par un objectif hybride entre les deux ?

L’objectif était clairement hybride. Encore une fois, la crise énergétique nous a montré à quel point le gaz pouvait coûter cher, à quel point c’était compliqué pour des industriels comme nous de gérer nos marges. Enfin, nous avons des contrats longs terme avec nos clients et nous ne pouvons pas avoir un prix qui double du jour au lendemain. Le BPA apporte de la stabilité sur le prix, au même titre que les PPA, avec un énorme avantage sur la partie décarbonation puisque le gaz est beaucoup plus carboné en France que l’électricité par exemple. Nous avons donc un réel gain en matière de décarbonation aussi. Malheureusement, la réglementation aujourd’hui est encore assez floue, donc nous travaillons beaucoup pour expliquer, éduquer les politiques et les institutionnels à quel est l’avantage d’utiliser du biométhane, si tant est qu’il soit durable. Nous avons donc une vraie, vraie double opportunité de stabilisation des prix et de décarbonation.

 

2.   Volume

D’après votre communiqué de presse, ce BPA couvre 300 GWh. Combien d’actifs vous fournissent ces volumes et comment sont-ils répartis sur le territoire ?

Nous avons effectivement 300 GWh par an sur 10 ans, soit 3 TWh contractualisés. Petite précision, c’est du as produced[1] donc c’est un volume estimé. Nous pouvons avoir 320 GWh ou 280 GWh par an, ce n’est pas garanti. Nous sommes aujourd’hui sur un parc d’environ 20 méthaniseurs qui sont tous répartis dans le nord de la France, principalement en Normandie. Nous essayons d’avoir des méthaniseurs qui soient dans les endroits propices. La Normandie est un endroit propice pour la méthanisation. Qui plus est un de nos deux sites de consommation qui a été choisi pour ce biométhaniseur est en Normandie, dont un méthaniseur qui est à moins de 40 km. Nous ne sommes pas en autoconsommation mais nous avons aussi une certaine vertu à avoir un écosystème local.

 

Comment vous êtes-vous assurés de l’additionnalité de ces 300 GWh par rapport à une trajectoire habituelle de consommation ?

Clairement ce n’est pas de l’additionnalité, c’est-à-dire que nos méthaniseurs aujourd’hui existent déjà, donc nous n’avons pas créé de nouveaux méthaniseurs pour ce contrat-là. En revanche, nous avons enfin démontré que quand des corporates et des promoteurs de biométhane se parlaient et trouvaient des accords, on développait la filière. Donc nous espérons que ce contrat ouvrira la voie à de nouveaux contrats qui eux permettront le financement et donc in fine, l’additionnalité.

 

3.   Lien avec le marché

Le prix négocié est-il un prix fixe ou un prix variable / indexé?

Bien évidemment, le prix est extrêmement confidentiel. La logique, comme expliqué précédemment, c’est d’avoir une stabilité du prix, donc nous n’allons pas l’indexer sur le gaz. Nous avons un prix fixe, avec une cote part liée à l’inflation qui reflète l’évolution du coût d’opération du biométhaniseur.

 

Est-ce que vos crédits ETS sont pris en compte ? Ce BPA vous permet-il d’avoir des reporting ETS moins lourds ?

Pareil, nous sommes dans une règlementation qui est complètement mouvante, les textes sont en train d’être écrits. Aujourd’hui, ce que nous imaginons c’est effectivement d’avoir une cote part de nos consommations de biométhane éligible ETS.

 

[1] Pay as produced signifie que le consommateur s’engage à acheter la totalité des volumes (ici de gaz) produits dans le cadre du contrat.

Partager cet article