Le mécanisme de « merit order » pour la production d’électricité

On distingue deux types de coûts dans toute entreprise productive : les coûts fixes et les coûts variables.

Les coûts fixes correspondent aux coûts indépendants du niveau de production : les salaires, les infrastructures, etc.

Les coûts variables correspondent, aux coûts dépendants du niveau de production : matière première, énergie, CO2, etc. Si l’entreprise produit peu, les coûts variables sont faibles, si elle produit beaucoup, ils sont élevés.

La distinction entre coûts fixes et coûts variables a une application directe pour la gestion d’une unité de production. En effet, celui-ci a intérêt à produire dès lors que le prix de vente est supérieur à ses coûts variables. La marge dégagée entre le prix de vente et les coûts variables lui permet éventuellement d’absorber ses coûts fixes et de dégager des bénéfices.

Cette logique est à l’œuvre dans les marchés de l’électricité, c’est le « merit order ». Les moyens de production d’électricité sont classés par ordre croissant selon leurs coûts variables et sont déclenchés par le gestionnaire de réseau en fonction du classement obtenu et du besoin de puissance anticipé.

Les ENR comme l’éolien ou le solaire sont appelés en premier (c’est-à-dire qu’elles sont les premières sources à produire) car elles ont des coûts variables très faibles : l’exploitation du vent ou du soleil est gratuite. Ensuite vient l’énergie nucléaire, dont la production nécessite l’achat d’uranium, puis les différentes énergies fossiles (charbon, gaz et fioul) pour lesquels il faut acheter le combustible et les quotas carbone associés à leurs émissions.

En théorie, le coût variable de la dernière centrale appelée définit le prix du marché. En effet, si le prix de marché est inférieur, cette centrale ne produit pas. Le réseau manque alors d’électricité, donc le prix de marché augmente jusqu’à ce que cette centrale ait intérêt à produire.

Les moyens de production classés en amont dans la courbe de « merit order », bien qu’ayant des coûts variables inférieurs, seront également rémunérés au prix de marché.

De manière générale, en France et aux interconnexions frontalières, les centrales à gaz correspondent au dernier moyen de production appelé. Il en découle que les prix du gaz, du charbon et du CO2 influencent les prix de l’électricité français, et ce malgré la dominante nucléaire dans le mix français.

1 – La demande en électricité (en GW), détermine la capacité de production électrique nécessaire, et donc la dernière centrale à appeler

2 – Les coûts variables de cette dernière centrale à appeler vont fortement influencer le prix de marché

3 – Le prix de marché s’établit de manière à couvrir les coûts variables de la dernière centrale

4 – Les moyens de productions appelés avant, ayant des coûts variables plus faible, couvrent leurs coûts fixes et dégagent éventuellement une marge

 

Le « merit order » ne prend pas en compte de manière intrinsèque la quantité de CO2 émise par les moyens de production dans leur classement, qui ne dépend que des coûts. L’Europe a donc choisit de soumettre les producteurs d’électricité au SEQE – UE, le Système d’Echange de Quotas d’Emissions européen (EU-ETS en anglais). Ce système permet de lier les coûts variables aux émissions de CO2 en exigeant des producteurs qu’ils achètent des quotas carbone à hauteur de la totalité de leurs émissions. C’est pour cette raison que le prix du carbone influe sur les marchés de l’électricité.

De manière générale, la production d’électricité au gaz est plus chère que celle au charbon. L’introduction de quotas carbone, surpénalisant le charbon, a cependant permis de rééquilibrer les coûts de production via ces deux sources.

Cependant, pendant le deuxième semestre 2021, l’envolée des prix du gaz a redynamisé la compétitivité du charbon. La hausse des prix des quotas n’a pas permis de contenir cette dynamique. Ainsi, pour contenir les prix de l’électricité cet hiver, la France a révisé à la hausse en janvier 2022 (+43%) l’autorisation de production électrique des deux centrales à charbon encore en activité sur le territoire, et ce alors que le gouvernement espérait fermer ces centrales définitivement avant le deuxième trimestre 2022.

Les ENR ont un coût variable très faible et sont donc systématiquement appelées en premières. Ayant une émissivité nulle, cette priorité donnée aux ENR est vertueuse pour l’environnement. Cependant leur inconvénient réside dans leur intermittence : l’électricité ne se stocke pas à grande échelle et le vent ne souffle pas de manière continue.

Lorsque le vent souffle sur le continent européen, la quantité d’électricité éolienne sur le réseau suffit à combler la demande et l’électricité est bon marché partout en Europe.

À l’inverse, lorsque le vent souffle peu en Europe, seules les centrales pilotables sont appelées. Les prix de l’électricité peuvent alors atteindre des sommets si les capacités pilotables sont insuffisantes pour satisfaire la demande. L’électricité est alors très carbonée, les centrales d’appoint étant les plus émissives.

Dans un objectif de résilience du réseau, les pays doivent donc construire et entretenir des moyens de production pilotables capables de satisfaire une partie conséquente de la demande en électricité. Plus la part des énergie renouvelables dans le mix énergétique est importante plus cet enjeu constitue un défi, en particulier pour la gestion et l’équilibrage du réseau.

Le stockage d’électricité à grande échelle est une manière prometteuse de pallier à l’intermittence des ENR.

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