Interview – valorisation de la chaleur fatale avec ENERTIME

ACE Énergie a rencontré Charles Huguet, Responsable Développements Stratégiques du groupe ENERTIME et Directeur Général Adjoint de sa filiale ENERGIE CIRCULAIRE.

ENERTIME est une société qui accompagne les industriels dans la valorisation de la chaleur fatale de leurs procédés en installant des équipements adaptés à chaque situation (machines à cycle organique de Rankine, dites ORC, pompes à chaleur, turbines de détente de gaz etc.)

ENERGIE CIRCULAIRE est une filiale d’ENERTIME qui permet d’ajouter une brique supplémentaire à leur activité. En effet, elle se présente comme une société de services énergétiques dans le domaine de l’efficacité énergétique industrielle.

A. Connaître votre solution

 

1.    Quel est le problème principal auquel vous apportez une solution ?

ENERTIME et sa filiale ENERGIE CIRCULAIRE offrent des solutions d’efficacité énergétique en valorisant les énergies fatales dans les procédés industriels via l’installation d’équipements adaptés à chaque situation.

Cela peut être l’installation de machines à cycle organique de Rankine (dites ORC) qui génèrent de l’électricité à partir de chaleur fatale, des pompes à chaleur très haute température qui utilisent la chaleur fatale pour produire de la vapeur utile dans les procédés industriels, ou encore des turbines de détente de gaz qui récupèrent l’énergie de détente du réseau de gaz à haute pression pour produire de l’électricité et du froid.

 

2.    Quelle est l’histoire/l’origine de votre solution ?

Les solutions proposées par le groupe ENERTIME, que ce soit en investissement direct ou en tiers-financement, ont été développées depuis 2008 (date de création de la société ENERTIME) pour toucher tous les pans de l’efficacité énergétique industrielle, en commençant par des projets appliqués aux énergies renouvelables, en particulier la biomasse et la géothermie, avant de s’orienter vers la valorisation de chaleur fatale des procédés industriels. La création de notre filiale ENERGIE CIRCULAIRE nous permet d’être de plus en plus présents dans les usines en France et en Europe.

 

3.    Quelle est la dynamique du secteur ? Quelle est la dynamique de votre société (croissance, effectif) ?

La croissance de notre société accompagne la dynamique du secteur, puisque en particulier depuis la crise covid et avec la forte accélération liée à la crise énergétique à la suite du conflit ukrainien, tous les acteurs sont à la recherche de la moindre économie d’énergie.

De plus, la valorisation de la chaleur fatale des procédés industriels est un gisement très important, largement identifié par l’ADEME et d’autres institutions européennes, qui s’il était adressé correctement, permettrait de déployer une grande capacité de production d’énergie décentralisée sur tout le territoire européen.

Depuis 2 ans il y a une forte accélération de la demande sur ce secteur, ce qui se traduit chez nous par une hausse de l’effectif qui est passé de 40 à presque 70 employés en 2 ans.

 

B.  Votre contribution à la décarbonation de l’industrie

 

4.    Pouvez-vous partager des exemples concrets de projets ou d’initiatives que vous avez déjà mis en place ?
Quelles leçons en avez-vous tirées ?

Le 1er projet emblématique que je peux vous présenter est l’installation d’un ORC sur l’incinérateur de déchets de Colombelles en banlieue de Caen qui approvisionne le réseau de chaleur urbain. Cet ORC fonctionne 6 mois de l’année quand la demande en énergie thermique du réseau de chaleur est nulle, en dehors de la période de chauffe. La chaleur est alors utilisée pour produire de l’électricité à travers notre machine ORC. Et, depuis peu de temps, la source froide au condenseur de l’ORC sert également à alimenter un réseau de chaleur basse température qui est utilisée dans des serres agricoles situées à proximité.

La 2ème initiative emblématique qui me vient à l’esprit est un projet d’installation en cours d’une machine ORC d’1 MW à la sortie des fours d’une usine du groupe VERALLIA, connu pour la fabrication de contenants en verre. Cet ORC a été intégralement financé, et sera dès fin 2024 opéré et entretenu, par ENERGIE CIRCULAIRE sur un modèle de CPPA onsite.

Le 3ème exemple est aussi un projet en cours de construction qui concerne une pompe à chaleur très haute température (PAC THT) visant la production de vapeur à 140°C à 4 bar pour 2,8 MW thermique dans une papeterie en Italie, opérationnelle également fin 2024.

 

5.    Comment votre solution apporte-t-elle sa contribution à la décarbonation de l’industrie ? A quel stade en est le programme Decarb Fast Track par exemple ?

Les solutions proposées par ENERTIME ont différents pouvoirs décarbonant. En France ou l’électricité est peu carbonée, le principal levier de décarbonation est la pompe à chaleur qui vient se substituer en général à la consommation de gaz naturel pour produire de la chaleur et de la vapeur.

Par ailleurs les ORC, qui produisent de l’électricité, peuvent avoir un intérêt important de décarbonation, que ce soit directement au niveau du scope 2 d’une activité située dans un pays avec une intensité carbone de l’électricité très élevée comme la Pologne ou la Hongrie, ou alors avec une vision plus long terme, puisque l’efficacité énergétique électrique d’aujourd’hui permet de préparer la décarbonation de demain. En effet, elle est une condition nécessaire à l’électrification massive de l’activité industrielle en Europe sans dégrader le facteur d’émission du réseau électrique. Cela surviendrait en cas d’une hausse de la consommation électrique trop abrupte sans le déploiement en parallèle de moyens de production d’électricité bas-carbone.

 

6.    Quels facteurs réglementaires ou incitatifs ont le plus d’influence sur le développement de votre solution ? Comment pensez-vous qu’ils évolueront à l’avenir ?

Les facteurs qui ont le plus d’impacts sont de deux natures. La première sont les aides directes des gouvernements, que ce soit sous forme de subventions ou d’aides au déploiement des solutions. Ces aides sont par exemple issues d’une directive européenne instaurant les white certificates, déclinées en France par les CEE. C’est un outil très puissant et à conserver, tout en évitant que cet outil qui doit servir l’efficacité énergétique ne se transforme en outil de décarbonation pure, parce que ce n’est pas du tout sa raison d’être.

La deuxième nature d’éléments réglementaires visant à favoriser l’adoption de ces solutions, c’est d’offrir aux acteurs industriels une meilleure visibilité sur les dispositifs européens, en particulier la taxe carbone aux frontières, ou encore la modification du système d’échange de quotas. Ce manque de visibilité brouille un peu les pistes, ce qui fait que les investisseurs potentiels ne prennent plus de décisions d’investissement en attendant d’avoir plus de visibilité sur ces évolutions règlementaires et leurs conséquences.

 

C.  Ouverture sur l’évolution du secteur

 

7.    Comment voyez-vous évoluer le secteur de la récupération de chaleur fatale dans les 5 années à venir ?

Clairement, dans les 5 prochaines années, la valorisation de chaleur fatale va devenir un des enjeux majeurs. Si on réfléchit à 10 ou 15 ans, ce sera peut-être un peu moins vrai car la majorité des procédés se seront électrifiés, donc il restera un gisement moins important de chaleur fatale à valoriser.

En revanche dans les 5 prochaines années, cela va devenir le pilier majeur de l’efficacité énergétique. L’ADEME faisait en 2017 une évaluation du gisement de chaleur fatale industrielle en Europe, avec en 2022 le bilan de la part de gisement valorisé. Entre 2017 et 2022, le constat est affligeant : seulement 0,8% du gisement de chaleur fatale a été adressé. Or, c’est un enjeu majeur identifié par tous les acteurs. Le secteur va donc forcément croitre, et ENERTIME va évidemment accompagner cette croissance, que ce soit en fourniture de projets en direct ou à travers ENERGIE CIRCULAIRE en tiers-financement.

De plus, nous militons pour un Plan Chaleur Fatale (to be disclosed soon) qui ne met pas en opposition ces solutions de valorisation de chaleur fatale (en électricité ou en vapeur) avec les réseaux de chaleur, mais bien en association.

En effet, les ORC permettent de financer les interconnexions entre les émetteurs de chaleur fatale et les réseaux de chaleur, bien souvent très en amont de la mise en service de ces réseaux. On a un certain nombre d’exemples, en particulier un à Dunkerque où le projet de réseau de chaleur est bloqué pour différentes raisons (techniques, politiques, financières, etc.). L’installation d’ORC permettrait de financer le ou les point(s) de récupération des chaleurs industrielles. Tant que le réseau de chaleur n’est pas en service, les ORC produiraient de l’électricité. Puis, quand le réseau sera opérationnel la chaleur serait fournie au réseau, et la production d’électricité permettra de compenser les cas de moindre soutirage du réseau de chaleur.  Donc, modulo le coût de l’investissement, c’est une solution qui maximise le rendement global de l’opération de valorisation de chaleur fatale.

 

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